Les processus phonologiques
Il est important de distinguer deux types de processus impliqués dans la fonction phonologique de la langue : le traitement phonologique du système et les processus phonologiques simplificateurs liés à l’apprentissage de la langue. Le traitement phonologique est construit par l’enfant et devient un processus permanent. De son côté, les processus phonologiques simplificateurs ne s’ancrent pas dans la langue. Transitoires par définition, ils font partie intégrante de l’acquisition des phonèmes par l’enfant qui structure et précise les fonctions des phonèmes intégrés dans l’usage. Tous les processus phonologiques simplificateurs finissent par disparaître. L’enfant finit par consolider sa maîtrise de la phonologie et à éliminer ces processus transitoires.
La phonologie dresse l’inventaire des phonèmes et les catégorise en vertu des traits distinctifs qui les opposent dans le système de la langue. Depuis un bon nombre d’années, un consensus s’est formé autour de l’importance des habiletés de traitement phonologique dans l’acquisition de la lecture.
Le terme traitement phonologique est plus large que celui de la conscience phonologique et se distingue de tous les autres processus identifiés dans une langue donnée (les processus phonétiques, morphologiques, lexicaux, syntaxiques, sémantiques, grammaticaux, non verbaux etc.). Le traitement phonologique à lui seul fait référence aux opérations mentales qui utilisent l’information phonologique et l’image sonore (auditive) des phonèmes du langage au moment où l’enfant traite le langage oral ou écrit.
Chez l’enfant en apprentissage de la langue, le traitement phonologique correspond à sa capacité à se construire un système de représentations phonologiques à partir de l’entrée auditive. Ces représentations phonologiques sont les images mentales de la forme sonore (auditive) des mots emmagasinés dans la mémoire à long terme grâce au contact avec la langue parlée. Plus le vocabulaire oral de l’enfant s’enrichit, plus il arrivera à faire la différence entre les unités minimales distinctives de la langue (les oppositions phonologiques fines).
D’après STANKÉ, le traitement phonologique comprend 1) la conscience phonologique, 2) l’accès au lexique phonologique et 3) la mémoire de travail phonologique.
Le traitement phonologique est le premier processus fonctionnel partagé par tous les locuteurs de la langue. Il est, à la base, un processus permanent de la parole, déterminé par la structure de la langue et les règles d’assemblage des phonèmes qui s’opposent entre eux à travers leurs traits distinctifs et leurs fonctions contrastives dans la parole.
De plus, le traitement phonologique se distingue des processus phonologiques simplificateurs (PPS) de INGRAM (1976) qui entrent en fonction dans le cadre de l’intégration des phonèmes par l’enfant lors de son apprentissage phonologique. Les processus phonologiques simplificateurs ne durent pas dans le temps de par leur nature transitoire. Une fois les phonèmes intégrés par l’enfant, les PPS disparaissent nécessairement pour faire place au traitement phonologique du système codifié qu’il a adopté et construit lors de son apprentissage de la langue.
INGRAM (1976) distingue trois types de processus phonologiques simplificateurs:
- les processus structurels touchant les syllabes
- les processus de substitution
- les processus d’assimilation
BOWEN appelle ces processus phonologiques (ou transformations phonologiques) les erreurs de l’enfant en développement éprouvant des difficultés phonologiques qui suivent des patrons réguliers et prévisibles non-aléatoires. Les transformations observées sont des productions articulatoires d’un enfant dont la phonologie est en plein développement. Les productions articulatoires sont le plus souvent prévisibles et la notion de processus phonologique, bien que fort utile pour l’analyse, n’explique pas tout, malheureusement. Une bonne compréhension de la phonétique combinatoire (l’étude de l’interaction et de l’influence des sons sur les autres) permettra à l’intervenant de mieux cerner, en tout ou en partie, ce qui se passe dans l’articulation de la parole chez l’enfant (et l’adulte) et de mieux expliquer pourquoi ces phénomènes sont observés.
Les enfants font des essais (des tentatives, des expériences) articulatoires qui n’impliquent pas toujours des phonèmes apparentés (autrement dit, qui partagent des traits distinctifs communs). Il est parfois difficile de lier certaines productions articulatoires phonétiques au signifié que l’enfant veut évoquer. Encore une fois, la traduction de BOWEN ne rend pas service à l’auteur. Elle répète qu’un enfant qui remplace le son long /s/ par son court /t/ dans talon [talɔ̃] pour salon [salɔ̃] (ce qu’elle nomme l’occlusion), remplacera également le son long /z/ par le son court /d/. Le français n’a pas un système phonologique qui oppose, de manière distinctive, des sons longs à des sons courts (ou brefs). La distinction qu’il faut faire en français entre ces groupes de phonèmes est mieux définie par ce qui oppose les constrictives aux occlusives de la langue.
BOWEN suggère faussement aussi que, le fait d’observer /k/ à la place de /t/ dans trou [kru], signifie que /t/ a été assimilé par le lieu d’articulation de /r/. Pourtant, les deux sons ne partagent pas le même lieu d’articulation en français. Toute assimilation phonologique implique qu’un phonème prend le trait distinctif du son qui l’influence au contact. /k/ et /r/ ne font pas partie de la même série et encore moins du même ordre. S’il y avait une assimilation dans le cas présenté par BOWEN, /k/ aurait, à tout le moins, pris minimalement un trait distinctif du phonème /r/ (soit son lieu d’articulation, soit sa sonorité). Ce n’est pas le cas. Il aurait été mieux de parler de postériorisation de /t/ pour expliquer la transformation de /t/ en /k/ : le lieu d’articulation de la dorso-vélaire se rapproche naturellement de la consonne uvulaire. Dans le cas de bleu [blø] qui devient [dlø], il est difficile de prétendre qu’il y a encore une fois une assimilation du groupe consonantique /bl-/ vers /dl-/ puisque /b/ et /d/ sont tous les deux sonores, au départ. Donc, il n’y a pas lieu de dire que /d/ se rapproche de /l/ sous l’influence du trait distinctif de celui-ci. C’est plutôt un phénomène de postériorisation de la consonne, encore une fois, qui est en cause. /b/ et /d/ sont des phonèmes apparentés sur la base de la série qui les intègre dans la langue, à savoir qu’ils sont, tous les deux, des phonèmes occlusifs sonores. Le fait que /d/ partage avec /l/ le même lieu d’articulation lui permet d’être articulé plus naturellement en présence de l’apico-alvéolaire /l/.