Patrice Robitaille, PhD 1
1. Introduction
En 2016, le professeur Andrea MACLEOD a publié sur le site de l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal2 un article qui relève d’une pseudo-science. La méthode ayant servi à dresser son inventaire de 23 voyelles est sans fondement. Ce qu’avance MACLEOD repose sur des impressions qui n’ont aucun lien avec la description phonologique qui a pris forme avec l’enseignement de N.S. TROUBETZKOY, 3 André MARTINET, 4 Georges MOUNIN 5 et Pierre MARTIN,6 pour ne nommer que ceux-là. Dans le présent article, j’invite l’Université à s’inspirer de la phonologie fonctionnelle pour implanter une norme linguistique et des standards d’analyse crédibles lui permettant de baliser l’identification des phonèmes et de les définir correctement.
2. Un constat alarmant
À la lecture de MACLEOD (2016), il faut se demander pourquoi un texte d’une telle déficience est hébergé et diffusé par l’Université. Comment MACLEOD, dont la langue maternelle n’est pas, de toute évidence, le français, a-t-elle réussi à convaincre l’Université de Montréal que notre langue renferme 23 voyelles sans que l’EOA questionne le trapèze qu’elle a bâti ? En l’absence d’un examen sérieux par ses pairs, cet article douteux s’est enraciné dans le temps. La formation incomplète de l’auteur lui permet de confondre la voyelle centrale anglophone [ʌ] (qu’on appelle le wedge en anglais) avec la voyelle francophone postérieure, mi-ouverte [ɔ]. En page 2, elle parle bien de [fʌnetsɪkelafʌnʌlʌʒi] en utilisant le symbole [ʌ], une voyelle centrale relâchée (un son qui ne figure pas dans l’inventaire des voyelles du français) pour transcrire des monèmes où la voyelle postérieure, arrondie, mi-ouverte [ɔ] est attendue (voir [lafɔnetsɪkelafɔnɔlɔʒi]). En page 12, elle donne les exemples de pomme [pʌm] et cochon [kʌʃɔ̃]. Ces transcriptions doivent être traduites par [pɔm] et [kɔʃɔ̃] respectivement. Curieusement, MACLEOD n’a pas cru bon de vérifier ses transcriptions avec l’aide du Petit Robert. Consulter cette référence populaire de base en phonétique qui fait autorité dans toute la francophonie lui aurait été d’une grande utilité. En tant que phonologue, je ne connais personne au Québec, en France, en Belgique ou ailleurs qui a, dans son inventaire des voyelles françaises, le son [ʌ]. Que MACLEOD (2016) ait pu faire gober son inventaire à des francophones est troublant. Si l’EOA est encadrée par une quelconque norme phonologique qui permet à l’école de témoigner de la qualité de son enseignement, il faut croire que l’agrément du CAPUC-AO n’a pas la valeur souhaitée. 7 L’agrément du Conseil doit tenir compte de la phonologie en tant que composante essentielle de l’orthophonie. Si les paramètres de l’examen sur place du Conseil sont imparfaits, l’Université doit compenser le vide laissé par cet organisme de certification. Une personne qualifiée en phonologie française doit pouvoir se prononcer sur les articles que produit l’EOA en phonologie avant leur parution.
3. Langue et parole
En dressant son inventaire des voyelles, MACLEOD confond ce qui relève de la parole (les réalisations phonétiques particulières) et ce qui relève, à proprement parler, de la langue – à savoir, les unités distinctives minimales ayant une fonction linguistique et donc phonologique et oppositive dans le système à l’étude (les phonèmes). Le trapèze vocalique de l’auteur (2016 : 6) avance, faussement, que la langue française déploie 23 voyelles. En plus de présenter les voyelles lâches [Y, ɪ, U] (les réalisations particulières de /y, i, u/), l’auteur présente une opposition [œ] versus [ə] (un des deux sons doit être identifié comme étant la réalisation particulière de l’autre). De plus, elle fait une distinction, phonologiquement non démontrée, des voyelles nasales, qu’on se trouve soit en Europe ([õ, ɑ̃, ɛ̃, œ̃]) soit au Canada ([ɔ̃, ɑ̃ (antérieure !), ẽ, ø̃]). La voyelle [ɑ̃] est une nasale postérieure par définition. Le son [ɑ̃] ne peut pas être à la fois postérieur et antérieur. D’un point de vue purement phonétique, cette distinction est impossible. Phonologiquement, la francophonie n’a qu’une seule voyelle nasale ouverte. Cette nasale se définit par le phonème /ɑ̃/. Il n’y a pas, en phonologie française, deux phonèmes /ɑ̃/ pour distinguer différentes variétés d’usage. Au Canada, si nous voulons parler d’une nasale antérieure ouverte, c’est du son [ã] dont il faut parler. Cette nasale demeure un allophone de /ɑ̃/, sans plus.
L’auteur avance une opposition nasale mi-fermée [õ] versus une nasale mi-ouverte [ɔ̃], une opposition nasale mi-fermée [ẽ] versus une nasale mi-ouverte [ɛ̃] et, enfin, une voyelle nasale arrondie, mi-fermée [ø̃] versus une nasale mi-ouverte [œ̃]. En français, il n’y a pas de base phonologique pour dire que [õ, ẽ, ø̃] sont des phonèmes. Ces trois réalisations phonétiques particulières demeurent, phonologiquement, des allophones de /ɔ̃/, /ɛ̃/ et /œ̃/. Pour être en mesure de dire que [õ, ẽ, ø̃] sont des phonèmes à part entière, il faut que l’auteur fasse la démonstration que [õ, ẽ, ø̃], en commutation avec d’autres phonèmes, jouent un rôle distinctif, donc phonologique, en français.
Tout comme les voyelles lâches [Y, ɪ, U] et la voyelle centrale [ə], les voyelles nasales particulières [õ, ẽ, ø̃] n’ont pas à figurer dans le trapèze de la langue française. Le trapèze doit présenter les phonèmes de la langue et non pas toutes les réalisations particulières identifiables de la parole. Si, par ce trapèze, le but recherché de l’auteur était d’inventorier toutes les voyelles phonétiques du français, pourquoi n’y a-t-elle pas intégré les voyelles diphtonguées du Canada 8 et pourquoi n’y a-t-elle pas intégré la voyelle centrale [ʌ] qu’elle utilise à profusion dans ses transcriptions phonétiques ?
4. Une confusion phonologique étourdissante à l’Université de Montréal
Pour MACLEOD, il suffit d’avancer 23 symboles phonétiques pour conclure à leur existence. Pour établir l’existence d’un phonème, il faut en déterminer la fonction. Sans fonction, le phonème n’existe pas. La distinction phonologique de l’auteur pour opposer deux systèmes vocaliques (un propre à l’Europe et l’autre propre au Canada) n’existe pas. Ces erreurs d’identification de phonèmes existent parce que l’EOA n’encadre pas le travail qui a mené à ce trapèze ayant pris forme en dehors de tout cadre théorique crédible. C’est à partir de la phonologie fonctionnelle et sa procédure d’identification des phonèmes que le descripteur peut établir le trapèze vocalique de la langue. En français, par exemple, les monèmes lit [li], lu [ly], loup [lu], lait [lɛ], le [lœ], long [lɔ̃], lin [lɛ̃], la [la], là [lɑ], lot [lo] et lent [lɑ̃] confirment que /i, y, u, ɛ, œ, ɔ̃, ɛ̃, a, ɑ, o, ɑ̃/ sont des phonèmes, puisque les deux éléments constitutifs d’une paire minimale (par exemple, lit [li] versus loup [lu]) s’opposent à partir d’une seule unité distinctive (à savoir, /i/ versus /u/). Le descripteur dégage les phonèmes /e, ø, ɔ, œ̃/ à partir des oppositions phonologiques qui existent entre dé [de], deux [dø] et dos [do] ; de l’opposition phonologique qui existe entre un [œ̃] et an [ɑ̃] et, finalement, de l’opposition phonologique qui existe entre port [pɔr] et pour [pur]. Pour qu’on puisse postuler un statut phonologique des sons [ə, õ, ẽ, ø̃] en français, il faut que ces sons occupent individuellement des fonctions distinctives (donc oppositives) dans le système que /œ, ɔ̃, ɛ̃, œ̃/ n’occupent pas. Du point de vue méthodologique, la présentation de l’auteur est donc ouvertement en contradiction avec toute procédure phonologique reconnue. Seule une démonstration à partir de la commutation des unités distinctives minimales en présence peut permettre l’identification des phonèmes de la langue soit pour vérifier, soit pour contredire la nomenclature acceptée de notre phonologie. Rien d’autre.
4.1. Pourquoi les voyelles [ɪ, Y, U, ə, õ, ẽ, ø̃] ne sont pas des phonèmes
[i] tendu de vite et [ɪ] relâché de vite ne s’opposent pas, à savoir que la commutation de [ɪ] avec [i] n’engendre pas l’identification d’un nouveau signifié (un référent linguistique nouveau, un concept différent de vite pour qualifier la rapidité de quelque chose). Le son [ɪ] relâché est donc une réalisation phonétique particulière du phonème /i/. [y] tendu de buche et [Y] relâché de buche ne s’opposent pas. Le son [Y] relâché est une réalisation phonétique particulière du phonème /y/. [u] tendu de couche et [U] relâché de couche ne s’opposent pas. Le son [U] relâché est une réalisation phonétique particulière du phonème /u/. [ə] central de boeuf et [œ] antérieur de boeuf ne s’opposent pas. Le son [ə] central est une réalisation phonétique particulière du phonème /œ/. [õ] mi-fermé de pont et [ɔ̃] mi-ouvert de pont ne s’opposent pas. Le son [õ] mi-fermé est une réalisation phonétique particulière du phonème /ɔ̃/. [ẽ] mi-fermé de pain et [ɛ̃] mi-ouvert de pain ne s’opposent pas. Le son [ẽ] mi-fermé est une réalisation phonétique particulière du phonème /ɛ̃/. [ø̃] mi-fermé de brun et [œ̃] mi-ouvert de brun ne s’opposent pas. Le son [ø̃] mi-fermé est une réalisation phonétique particulière du phonème /œ̃/. En conclusion, [ɪ, Y, U, ə, õ, ẽ, ø̃] ne sont pas des phonèmes et n’ont pas à figurer dans le trapèze vocalique du français.
5. Des variétés d’usages qui fonctionnent à partir d’une seule et même phonologie.
En français, que ce soit en France ou ailleurs, il y a quinze (15) voyelles reconnues (voir le trapèze plus bas et le tableau des voyelles à l’ANNEXE 1). Si les pays de la francophonie ont des réalisations phonétiques régionales ou nationales propres, il n’en demeure pas moins qu’ils partagent un seul et même système phonologique, à savoir le même nombre de voyelles et de consonnes. Bien évidemment, l’auteur confond réalisations phonétiques particulières (parole) et phonèmes (langue). Sur ce point, l’analyse de MACLEOD ne concorde pas avec la phonologie du français à laquelle les orthophonistes sur le terrain doivent pouvoir se référer, à savoir le trapèze vocalique de la langue française que voici 9 :

Le trapèze vocalique du français indique le lieu d’articulation des voyelles (antérieur versus postérieur) et, aussi, le degré d’aperture des voyelles (qu’elles soient fermées, mi-fermées, mi-ouvertes, ou ouvertes). Un symbole phonétique de l’API dans le trapèze vocalique du français ne peut pas être à la fois antérieur et postérieur. Prétendre le contraire est faux. Le trapèze représente, grossièrement, le lieu d’articulation des voyelles (la position approximative de la langue dans la cavité buccale) en production. Les voyelles placées à la gauche du trapèze (/i, y, e, ø, ɛ, œ, a, ɛ̃, œ̃/) sont des voyelles antérieures produites à l’avant de la cavité buccale. Les voyelles placées à la droite du trapèze (/u, o, ɔ, ɑ, ɔ̃, ɑ̃/) sont des voyelles postérieures produites à l’arrière de la cavité buccale. Il donne aussi une indication quant au degré d’aperture des voyelles, à savoir dans quelle mesure la bouche est, ou bien, plus ou moins fermée, ou bien, plus ou moins ouverte, lors de la production de celles-ci. Le trapèze indique alors que /i, y, u/ sont fermées, /e, ø, o/ sont mi-fermées, /ɛ, œ, ɔ, ɛ̃, œ̃, ɔ̃/ sont mi-ouvertes et /a, ɑ, ɑ̃/ sont ouvertes. En phonologie, les tableaux des voyelles et des consonnes (voir ANNEXE 1) permettent à l’étudiant de voir les rapports phonétiques fonctionnels des phonèmes qui ont un statut phonologique dans le système.
6. Normes et standards inexistants en phonologie orthophonique à l’Université de Montréal
Qu’attendons-nous d’une faculté de médecine face aux normes et standards établis ? Bien sûr, qu’elle les respecte. Qu’attendons-nous d’un professeur de médecine qui enseigne une discipline de la médecine ? 10 Qu’attendons-nous, plus particulièrement, d’un professeur d’anatomie qui enseigne l’évolution du squelette humain, de la naissance à l’âge adulte ? Assurément, que ce professeur respecte les connaissances médicales actuelles et qu’il enseigne à partir de normes médicales établies. Personne n’accepterait qu’un professeur d’anatomie nous dise que le squelette humain, à l’âge adulte, soit constitué de 270 os. Le squelette humain, d’âge adulte, est constitué de 206 os constants. 11 Ni plus. Ni moins. Il y a des normes médicales reconnues et des connaissances accumulées dans ce domaine. Une faculté de médecine ne peut pas enseigner n’importe quoi, n’importe comment, sans se soucier de la science qu’elle se doit de respecter et d’enrichir par le biais de la recherche. Dans toutes les disciplines médicales, les connaissances accumulées, les standards établis depuis des siècles, les normes mises en place dans les facultés de médecine à travers le monde, font partie intégrante des éléments qui permettent d’établir la fiabilité de l’enseignement et la reconnaissance d’une faculté de médecine dont la qualité est irréprochable. Ce sont ces éléments qui permettent de confirmer la qualité du programme d’une faculté de médecine et de lui accorder son agrément. Cela se fait par la validation des qualifications de son corps professoral, de la qualité de son enseignement, de son savoir-faire médical, de ses ressources matérielles (les équipements liés à l’enseignement) et du respect du programme en vigueur au Canada. Le Comité d’agrément des facultés de médecine du Canada (CAFMC) de l’Association des facultés de médecine du Canada (AFMC), n’accorderait jamais son agrément à une faculté qui ne respecte pas les normes et les standards établis. 12 Alors, pourquoi les normes en phonologie orthophonique seraient-elles moins contraignantes que celles observées en médecine ? Qu’attendons-nous, au juste, d’un professeur d’orthophonie qui enseigne une discipline contributive de l’orthophonie ? Qu’attendons-nous, au juste, d’un professeur d’orthophonie qui enseigne la phonologie ? Assurément, que ce professeur respecte les connaissances de la phonologie moderne et qu’il enseigne à partir d’une norme linguistique établie. En phonologie, personne n’accepte qu’un professeur d’orthophonie nous dise que la langue française renferme 23 voyelles sans confirmer leur fonction distinctive dans le système à partir d’une analyse rigoureuse. Notre système de voyelles renferme 15 voyelles. Ni plus. Ni moins. Les réalisations phonétiques particulières n’ont pas le statut de phonèmes et, une fois son inventaire complété, le linguiste écarte ces productions du trapèze vocalique, même s’il sait reconnaître leur présence dans la parole. Comme en médecine, il y a une norme linguistique reconnue et des connaissances accumulées dans le domaine de la phonologie qui doivent être respectées et enseignées en orthophonie.
La meilleure façon de déceler les dérapages dans l’enseignement de la phonologie orthophonique est de vérifier, sur le terrain, ce que produisent les finissants ayant terminé leurs études de Maîtrise à l’Université. Voici quelques exemples où des normes plus sévères en phonologie orthophonique à la faculté de médecine de l’Université de Montréal auraient évité qu’on observe de tels dérapages dans des publications grand-public.
7. Les traductions de Rachel Fortin
Les descriptions des systèmes phonologiques sont malheureusement trop souvent incohérentes et engendrent des confusions importantes. La traduction de BOWEN 13 par Rachel FORTIN nous montre à quel point l’influence de la langue source (l’anglais) peut nuire à la description phonologique du français. Elle nous permet aussi de voir les lacunes de la formation dispensée à l’Université de Montréal en phonologie. À titre d’exemple, il est difficile de considérer que le tableau de BOWEN (p. 9) est une représentation correcte du système des consonnes.
Les sons en symboles phonétiques | Le mode articulatoire |
[p] [b] [t] [d] [k] [g] | Occlusif |
[f] [v] [s] [z] [ʃ] [ʒ] [l] [r] [R] [j] [w] [ɥ] | Constrictif |
[m] [n] [ɲ] | Occlusif nasal |
Le système des consonnes du français n’est pas une réduction exagérée de ses traits articulatoires. Dans sa traduction, FORTIN indique que le français fait usage de deux /r/. Il existe bien une réalisation apico-alvéolaire [r] et une réalisation dorso-uvulaire [R] (ou[ʁ]) en français, mais ces articulations phonétiques demeurent, en français, les réalisations particulières d’un seul et même phonème. On le représente par un symbole unique dans le tableau phonologique du français. En phonologie, le fait que le son /r/ représente toutes les réalisations particulières du même phonème relève d’une norme reconnue. FORTIN indique que, dans la production de [po] pour pomme, l’enfant réalise qu’il manque le son long /m/ à la fin du mot. Malheureusement, le français ne fait pas de distinction sur la base de la durée. Il n’y a pas de consonne longues ou brèves en français. Le phonème /m/ est une consonne nasale, sans plus. Si nous la comparons à un phonème produit à partir d’un autre lieu d’articulation, nous serions sans doute obligés de préciser que /m/ est bilabial. Prétendre que la langue française renferme des consonnes longues est une erreur d’analyse de base qui démontre l’absence d’une quelconque référence phonologique crédible et encore moins d’une quelconque norme dans l’enseignement de la phonologie à l’EOA. La définition que FORTIN donne des consonnes nasales du français témoigne des dérapages théoriques insidieux auxquels nous faisons face en orthophonie au Québec. FORTIN n’explique pas pourquoi les phénomènes existent. Elle ne décrit pas les rapports phonologiques qui sous-tendent les processus qu’elle identifie. 14 En page 14, elle indique que l’enfant perçoit des contrastes entre les voyelles. Elle ajoute « Ainsi, un bébé reconnaît différemment les mots belle, balle, et bulle », sans dire que les différences observées (ce qui oppose /ɛ/, /a/ et /y/) sont intimement liées au degré d’aperture et à l’arrondissement. /ɛ/ et /a/ sont des voyelles non-arrondies (les lèvres sont écartées), /ɛ/ étant mi-ouverte tandis que /a/ est ouverte. De son côté, /y/ est une voyelle arrondie (les lèvres sont arrondies pour son articulation) et fermée (aperture de la bouche). L’absence d’une norme établie dans l’enseignement de la phonologie orthophonique à l’EOA nuit à la pédagogie qu’on veut implacable. La phonologie française décrit le système dans lequel fonctionnent ses voyelles. Elle décrit les traits distinctifs (pertinents) associés aux lieux d’articulations, à l’aperture et à l’arrondissement et donc, au fonctionnement de la langue française dans sa phonologie.
Dans K. MARTIN 15, toujours une traduction établie par Rachel FORTIN, les erreurs associées à la transposition et à l’adaptation d’une langue vers l’autre sont encore plus apparentes. L’auteur présente un inventaire de dix-sept (17) consonnes dont certaines ne proviennent pas de l’Alphabet Phonétique International (/p, b, t, d, m, n, k, g, gn, f, v, s, z, l, r, ch, j/) et dont la source proviendrait d’un auteur anglophone. 16 FORTIN ne donne pas d’exemple lié à l’utilisation de /j/.17 S’agit-il de /ʒ/ de genou ([ʒœnu]) ou de /j/ de fille ([fij]) ? En page 22, elle présente /ch/ (sûrement /ʃ/ pour chien) versus /j/ (sûrement /ʒ/ pour genou). L’auteur aurait dû éviter des symboles non conformes à l’API. De plus, contrairement au système qu’elle nous présente dans BOWEN, FORTIN ne fait aucune mention de l’existence de /ɥ/ comme dans huit (/ɥit/) et de /w/ comme dans oui (/wi/). Dans ces adaptations, toute norme linguistique est escamotée. L’auteur ne présente pas le système phonologique reconnu des consonnes du français. Elle présente un inventaire de phonèmes dans BOWEN et un tout autre inventaire dans K. MARTIN pour la même langue. Une révision plus serrée, faite par un phonologue compétent chez Chenelière Éducation, aurait empêché les erreurs contenues dans ces deux ouvrages. Pourquoi MACLEOD (2016) et FORTIN (traductions de BOWEN 2007 et de K. MARTIN 2009) ne sont pas en mesure d’identifier ni de définir correctement les phonèmes de la langue française ? Le problème est intimement lié à l’absence d’une norme descriptive (un cadre théorique) et de standards d’analyse phonologiques reconnus dans l’enseignement de l’EOA. Ce ne sont pas les impressions personnelles ni les traductions maladroites qui peuvent remplacer une analyse fondée sur les traits articulatoires de la langue. Une pédagogie cohérente en phonologie orthophonique doit, par défaut, se référer aux tableaux phonologiques du français (voir ANNEXE 1). Cette pédagogie est impossible si le descripteur fabrique des trapèzes qui n’ont rien à voir avec notre phonologie.
8. L’absence de normes implicites en phonologie finit par saboter la mission de l’Université et nuire à son programme d’orthophonie.
MACLEOD (2016) est diffusé par L’Université de Montréal depuis bientôt dix ans. L’établissement d’enseignement supérieur accepte, ouvertement, que ce professeur nous dise que la langue française renferme 23 voyelles.18 Je soulève l’état de fait qui résulte de la pseudo-science dans laquelle s’est engagée MACLEOD dans l’intérêt supérieur de l’Université. Pourquoi l’Université permet-elle que l’incompétence phonétique et phonologique de l’EOA s’affiche publiquement ? Pourquoi l’Université ne défend-elle pas la langue française ? Le devoir de l’Université n’est-il pas de structurer son programme d’orthophonie, de structurer la phonologie qu’elle enseigne et d’encadrer ses professeurs en respectant, à la base, une norme linguistique reconnue ? Ce sont ces composantes pédagogiques de programme qui assurent, dans leur déploiement, la qualité de la formation offerte aux candidats inscrits à la Maîtrise. Que l’Université endosse la présence d’un texte aussi maladroit sur ses serveurs, qu’elle le diffuse sans scrupule au Québec, relève de l’aberration. L’Université a un devoir de rigueur scientifique fondée sur des normes établies. Pas le contraire. Pourquoi un encadrement plus sérieux des professeurs de phonologie orthophonique, celui fondé sur une norme linguistique moderne et des standards phonologiques reconnus, n’existe pas à la faculté de médecine ? Devant les erreurs commises par ses finissants, la faculté ne peut pas dire qu’elle ne contrôle pas ce que disent et ce que font ses diplômés. Comme en médecine, l’Université a le devoir de développer les compétences nécessaires à l’exercice de la profession orthophonique pour toute la durée de la carrière de ces professionnels. Présentement, l’agrément du Conseil des programmes universitaires canadiens en audiologie et orthophonie (CAPUC-AO) n’offre pas un garde-fou crédible pour prévenir les erreurs identifiées dans les publications phonologiques de l’EOA et de ses finissants. Le Conseil doit s’assurer que la phonologie enseignée à l’Université de Montréal est conforme aux normes et aux standards de la linguistique moderne. Le Conseil doit vérifier que les normes linguistiques et les qualifications du personnel enseignant sont pris en compte. Si les normes du Conseil ne sont pas à la hauteur du mandat que doit remplir l’EOA pour éviter de tels dérapages,19 l’Université de Montréal se doit ou bien de les corriger, ou bien de les implanter au-delà des exigences (visiblement absentes) du Conseil. L’Université ne peut pas se contenter de faire l’acquisition d’un agrément qui est, dans la pratique, une reconnaissance officielle qui n’a pas la valeur escomptée en phonologie. Si les professeurs de l’EOA avaient comme référence les tableaux phonologiques qui se trouvent à l’ANNEXE 1, elle aurait déjà le début d’un commencement d’une norme. Elle ne peut pas simplement se contenter de faire un copier-coller du tableau des consonnes et du trapèze vocalique de l’Alphabet Phonétique International (API), en suivant la tradition mise en place par GRUNWELL (1981).20 Les tableaux phonologiques du français existent. Pourquoi l’EOA ne les utilise pas ?
Établir une norme et des standards à l’EOA est dans l’intérêt supérieur de l’Université. Que veut dire l’inaction de la faculté de médecine quant à son refus de retirer cet article de ses serveurs ? Cela veut-il dire qu’elle n’adhère pas à la mission de l’Université ? Cela veut-il dire qu’elle n’est pas engagée dans l’excellence ? Cela veut-il dire qu’elle ne vise pas la transmission ni la mobilisation de savoirs pour que, à travers les actions des membres de sa communauté, elle accompagne la société dans une perspective de bien commun ? C’est bien l’impression que la faculté de médecine nous donne en relayant sur ses serveurs la pseudo-science du professeur MACLEOD.
9. Conclusion
La faculté de médecine a une expertise médicale qui lui permet d’encadrer les travaux de l’EOA et tout ce qui touche les troubles dys-.21 Elle détient une expertise dans le domaine des troubles de la déglutition. Elle a une équipe capable de prendre en charge tout ce qui touche les lésions hémisphériques chez l’être humain. Mais qu’advient-il de la phonologie orthophonique dont elle a la charge ? Au départ, le doyen de la faculté doit faire confiance à l’équipe qu’il a bâtie pour diriger l’EOA et enseigner la phonologie. Alors, pourquoi autant d’erreurs sont-elles observées dans les articles de l’EOA et dans les publications grand public de ses finissants ? Le problème de l’EOA réside dans son incapacité à mettre de l’avant une norme linguistique et des standards phonologiques pour encadrer l’enseignement de ses professeurs. Si elle adhérait aux méthodes reconnues en phonologie (par exemple, celles de la phonologie fonctionnelle), allant de l’identification des phonèmes à l’analyse phonologique proprement dite, elle éviterait toutes les difficultés qui plombent sa réputation. L’agrément du CAPUC-AO doit exister pour encadrer l’EOA. Le Conseil doit mettre en œuvre un mécanisme de contrôle de l’assurance qualité et une norme linguistique probante pour empêcher que des articles comme celui de MACLEOD (2016) soient diffusés sans validation préalable à l’interne. Il faut remplacer la pseudo-science qui sévit à l’EOA par un cadre théorique crédible des sciences du langage qui comprend des standards d’analyse phonologiques qui permettront de baliser son travail. Maintenant, il reste à savoir si le doyen de la faculté de médecine réussira à sortir l’EOA du marasme dans lequel MACLEOD (2016) l’a plongé. Je lui souhaite le discernement qu’il faut pour y parvenir.
ANNEXE 1 22
Les voyelles
Orales | nasales | |||||||
antérieures | postérieures | antérieures | postérieures | |||||
non arr. | arr. | non arr. | arr. | non arr. | arr. | non arr. | arr. | |
Fermées | i | y | u | |||||
mi-fermées | e | ø | o | |||||
mi-ouvertes | ɛ | œ | ɔ | ɛ̃ | œ̃ | ɔ̃ | ||
Ouvertes | a | ɑ | ɑ̃ |
Exemples :
[i] riz | [y] jus | [u] boue | [ɛ̃] pain |
[e] blé | [ø] peu | [o] sceau | [œ̃] brun |
[ɛ] bec | [œ] le | [ɔ] colle | [ɑ̃] gant |
[a] sac | [ɑ] pâte | [ɔ̃] pont |
Les consonnes
Bilabiales | Labio-dentales | Apico-alvéolaires | Prédorso-alvéolaires | Prédorso-post- alvéolaires | Dorso-palatales | Dorso-vélaires | Dorso-uvulaires | |||
orales | occlusives | sourdes | p | t | k | |||||
sonores | b | d | g | |||||||
constrictives | sourdes | f | s | ʃ | ||||||
sonores | v | l | z | ʒ | j/ɥ | w | r | |||
Nasales (occlusives) (sonores) | m | n | ɲ |
Exemples :
[p] pomme | [f] feu | [j] ail |
[b] bar | [v] rive | [ɥ] huit |
[t] thym | [l] laine | [w] oui |
[d] ride | [s] sel | [r] rue |
[k] cou | [z] rose | [m] rhum |
[g] gomme | [ʃ] vache | [n] nul |
[ʒ] jouer | [ɲ] agneau |
ANNEXE 2
Courriel à Mme Susan Wagner, Université de Toronto.
Ref : UofM – Speech Therapy – Phonology issue
To susan.wagner@utoronto.ca on 2024-12-28 07:41
Dear Professor Wagner,
I am looking into the University of Montreal postulating 23 vowels in French (Mise à niveau de la phonétique et de la phonologie pour la pratique en orthophonie, MACLEOD : 2016). That article is still accessible on their website.
Considering that you are the Chair at the Council for Accreditation of Canadian University Programs in Audiology and Speech-Language Pathology, I would like to know if your organization refers to an accepted standard (norm) in French linguistics during its onsite examination of universities to ensure that Speech Therapy Schools respect a norm/standard for research and teaching in the field of French phonology.
Please let me know what is available at the Council so I can better understand the problem I have identified.
If I do not get an answer from you, I will take it for granted (on January 15, 2025) that the Council does not apply a standard for French phonology in French-speaking Speech Therapy Schools.
All the best,
Patrice Robitaille, PhD
(U Laval 1994, phonology)
Reference
- Patrice Robitaille, docteur de 3e cycle en linguistique (phonologie) de l’Université Laval à Québec, est directeur dans un collège privé de Montréal. En 1994, sous la direction de Pierre Martin, il a soutenu une thèse de doctorat qui porte sur les fluctuations et les flottements phonologiques de l’anglais de la Géorgie aux États-Unis. Au cours de sa carrière, il a élaboré et enseigné les cours Observation et dépistage en difficulté du langage et Intervention : clientèles avec difficultés de langage dans le programme de Techniques d’éducation spécialisée. Il est l’auteur de comptes rendus et d’articles dans le domaine de la linguistique et des Éléments de phonologie fonctionnelle pour l’intervention et l’orthophonie. ↩︎
- https://eoa.umontreal.ca/wp-content/uploads/sites/32/dpc_MacLeodAndrea_DEC_Phonologie_16_09_30.pdf ↩︎
- TROUBETZKOY, N. S. (1970) : Principes de phonologie, Paris, Klincksieck, 396 pages. ↩︎
- MARTINET, André (1956) : La description phonologique, Paris, Minard, 108 pages et MARTINET, André (1960) : Éléments de linguistique générale, Paris, Colin, 224 pages. ↩︎
- MOUNIN, Georges (1968) : Clefs pour la linguistique, Paris, Seghers, 189 pages. ↩︎
- MARTIN, Pierre (1983) : Éléments de phonologie fonctionnelle, Chicoutimi, Gaëtan Morin, 140 pages ↩︎
- L’auteur a écrit au CAPUC-AO le 20 décembre 2024 pour obtenir le portrait de l’équipe d’examen (principalement des orthophonistes et des audiologistes) et la grille d’évaluation permettant l’évaluation de l’enseignement de la phonologie française pour savoir si le CAPUC-AO exige l’utilisation des tableaux phonologiques placés en annexe. Ces courriels sont demeurés sans réponse. ↩︎
- Pierre MARTIN (1996 : 87) : Éléments de phonétique avec application au français, PUL, Sainte-Foy, 253 pages. ↩︎
- Tiré et adapté du site du professeur Christian Guilbault de l’Université Simon Fraser – https://www.sfu.ca/fren270/Phonetique/trapze.htm#:~:text=Les%20voyelles%20fran%C3%A7aises%20sont%20souvent,servent%20%C3%A0%20caract%C3%A9riser%20leur%20production – Consulté le 19-02-2024. ↩︎
- Voir : Anesthésiologie, cardiologie, dermatologie, endocrinologie, gastro-entérologie, génétique, gériatrie, hématologie, immunologie, médecine d’urgence, néphrologie, neurologie, oncologie, pédiatrie, physiatrie, pneumologie, psychiatrie, rhumatologie, etc. ↩︎
- KAMINA, Pierre (2009) : Anatomie clinique – Anatomie générale, Membres (Tome 1), Maloine, 4e édition, 577 pages. ↩︎
- Rappelons-nous le cas de l’Université McGill : https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/mcgill-s-medical-school-put-on-probation-by-accrediting-body-1.3117241 ↩︎
- BOWEN, Caroline (2007) : Les difficultés phonologiques chez l’enfant, Chenelière Éducation, 60 pages ↩︎
- BOWEN (2007:6). ↩︎
- K. MARTIN (2009) : Le langage et la parole chez l’enfant, Chenelière Éducation, Montréal, 135 pages. ↩︎
- E. K. SANDER (1972) : When are Speech Sounds Learned ?, Journal of Speech and Hearing Disorders, vol. 37, page 62. Les parents et les intervenants du Québec peuvent apprendre les symboles de l’API. Au lieu de présenter des symboles comme gn et ch, il aurait été souhaitable de présenter /ɲ/ et /ʃ/ avec des exemples qui démontrent leur présence dans l’inventaire. ↩︎
- K. MARTIN (2009: 21). ↩︎
- J’ai écrit personnellement au doyen de la faculté de médecine, M. Patrick Cossette, et au recteur de l’Université, M. Daniel Jutras, ainsi qu’à la directrice de l’EOA pour leur demander de retirer l’article de MACLEOD (2016) du site de l’EOA. Cette requête est demeurée sans réponse. L’Université ne peut pas plaider l’ignorance dans ce dossier. ↩︎
- J’ai écrit à la présidente du Conseil pour savoir si son organisation exige que les écoles d’orthophonie mettent en place des normes et standards en phonologie. Mon courriel est resté sans réponse (voir Annexe 2). ↩︎
- GRUNWELL, Pamela (1981) : The Nature of Phonological Disability in Children, Academic Press, London, 243 pages. ↩︎
- La dyspraxie, la dysarthrie, la dyslexie, la dysorthographie, la dysphasie, la dysgraphie et la dyscalculie, etc. ↩︎
- Adaptée de MARTIN, Pierre (1996) : Éléments de phonétique avec application au français, PUL, Sainte-Foy, 253 pages. ↩︎