Les voyelles
Le tableau phonologique des voyelles
Orales |
Nasales |
|||||||
antérieures |
postérieures |
antérieures |
postérieures |
|||||
non arr. |
arr. |
non arr. |
arr. |
non arr. |
arr. |
non arr. |
arr. |
|
Fermées |
i | y | u | |||||
Mi-fermées |
e | ø | o | |||||
Mi-ouvertes |
ɛ | œ | ɔ | ɛ̃ | œ̃ | ɔ̃ | ||
Ouvertes |
a | ɑ | ɑ̃ |
Le lecteur peut consulter aussi le site https://www.phonetique.ulaval.ca/ pour une référence en phonétique articulatoire, comprenant l’identification des sons (voyelles et consonnes), l’identification de croquis, des exercices de transcriptions utilisant l’Alphabet Phonétique International et un lexique détaillé. Chaque son est présenté de manière exhaustive (symbole API, radiographies, photos, spectrogrammes et enregistrements sonores pour des exercices de perceptions). Ce site a été mis en ligne par le professeur Pierre MARTIN. Pour aller plus loin, voir P. MARTIN (1996) et P. MARTIN (1983).
Les définitions phonologique des voyelles
Les définitions phonologiques mettent de l’avant les faisceaux phonologiques qui se déclinent dans les traits distinctifs individuels des phonèmes.
Pour les voyelles orales /i, e, ɛ/, le trait antérieur n’est pas pertinent puisqu’elles n’ont pas de contreparties postérieures non arrondies.
/i/ : fermée, non arrondie
/e/ : mi-fermée, non arrondie
/ɛ/ : orale, mi-ouverte, non arrondie
Le trait oral est important puisque /ɛ/ s’oppose à /ɛ̃/ qui est nasale.
/a/ : antérieure, ouverte
/y/ : antérieure, fermée, arrondie
/ø/ : antérieure, mi-fermée, arrondie
/œ/ : orale, antérieure, mi-ouverte, arrondie
On ne dit pas que /u, o, ɔ/ sont arrondies puisqu’elles n’ont pas de contreparties postérieures non arrondies.
/u/ : postérieure, fermée
/o/ : postérieure, mi-fermée
/ɔ/ : orale, postérieure, mi-ouverte
/ɑ/ ne s’oppose pas à des voyelles orales postérieures non-arrondies qui ont des apertures fermées, mi-fermées et mi-ouvertes. Il n’est pas non plus en opposition avec une voyelle postérieure ouverte arrondie (le trait non-arrondi est donc redondant pour /ɑ/). Il est en opposition avec /a/ et /ɑ̃/, ce qui explique la présence des traits oral et postérieur.
/ɑ/ : orale, postérieure, ouverte
La voyelle nasale /ɛ̃/ ne s’oppose pas en aperture à d’autres voyelles antérieures non-arrondies, ni à une voyelle qui serrait postérieure et non-arrondie. Pour cette raison, sa définition en tant que voyelle nasale (par rapport à /ɛ/) et non arrondie (par rapport à /œ̃/ est suffisante.
/ɛ̃/ : nasale, non arrondie
/œ̃/ : nasale, antérieure, arrondie
/ɔ̃/ : nasale, postérieure, arrondie
/ɑ̃/ : nasale, ouverte
Cas particuliers des voyelles
Le cas des voyelles [ə] et [œ]
Il m’a souvent été demandé ce qu’on doit faire de la voyelle centrale moyenne [ə] qu’on appelle, historiquement, le schwa (prononcé [ʃvɑ] ou [ʃwɑ] par certains) ou le « e muet », « e caduc », ou voyelle faible ou réduite utilisée dans les transcriptions du Petit Robert 1 dans des monèmes comme le [lə], de [də] et mener [məne].
Dans le présent ouvrage, la voyelle [ə] ne fait pas partie du tableau des voyelles du français. La raison est fort simple. Elle trouve son explication dans l’analyse de l’inventaire. Cette analyse permet de décider pourquoi un son s’intègre au système phonologique ou pourquoi, en définitive, il doit en être exclu.
Dans l’ouvrage plus récent du CHU Sainte-Justine, BERGERON-GAUDIN (2014 : 18-19) propose de faire une distinction phonologique entre les sons [œ] et [ə]. Elle donne à ces deux sons (qui sont des réalisations phonétiques du même phonème) le statut de voyelles en français. Pourtant, il n’y a qu’une voyelle pour représenter ces deux réalisations phonétiques dans le système phonologique à l’étude. Dans les cours de phonétique générale, on présente le son [ə] comme étant différent du son [œ] parce que, phonétiquement, la voyelle [œ] est antérieure, mi-ouverte et arrondie tandis que [ə] est centrale, d’aperture moyenne et arrondie.
Phonologiquement, la distinction entre [ə] et [œ] n’existe pas. Les deux sons ne s’opposent pas en français. Les fonctions de [ə] et [œ] dans bœuf ([bəf] = [bœf]) sont identiques, comme dans veuf ([vəf] = [vœf]) ou dans le ([lə] = [lœ]). Leur utilisation dans l’une ou l’autre réalisation phonétique ne donne pas naissance à des monèmes différents ayant, dans la langue, des significations contradictoires.
Donc, [ə] et [œ], malgré leurs descriptions phonétiques différentes (sur le plan articulatoire, descriptif, acoustique, ou autre), sont des variantes de la même voyelle en français. Puisqu’il faut choisir un symbole pour représenter l’unité distinctive minimale, qui permet aux locuteurs d’opposer cette voyelle aux autres unités distinctives de la langue, le choix de [œ] comme phonème /œ/ trouve sa pertinence dans sa relation à la voyelle /œ̃/ qui, elle, est aussi antérieure et mi-ouverte. Cette analyse permet de réduire la lourdeur d’un tableau voulant intégrer les traits /moyen/ et /central/ qui n’ont pas, structuralement, leur place. Cela élimine aussi cette volonté curieuse à vouloir décrire le schwa en tant que seule voyelle du français définie par ces deux marques distinctives. Donc, en phonologie française, le son [ə] demeure une réalisation phonétique particulière du phonème /œ/.
Ce dont il faut se rappeler, dans ce cas (l’exclusion de [ə]), c’est que la description du phonème identifié dans l’inventaire doit se faire à partir de sa fonction et sa pertinence dans le système, et non pas uniquement à partir de la manière dont le son est articulé et décrit par le phonéticien.
La langue française a seulement quinze (15) voyelles, ni plus, ni moins. La confusion entourant le système phonologique du français persiste (comme nous le voyons à travers les textes de BOWEN, K. MARTIN, MACLEOD et l’ouvrage francophone de BERGERON-GAUDIN) parce que la phonologie du français n’est pas maîtrisée.
Le cas des voyelles lâches [ɪ], [Y] et [U]
En français québécois, les voyelles fermées /i, y, u/ ont des réalisations particulières phonétiquement relâchées ([ɪ], [Y] et [U]). Nous les observons dans les occurrences québécoises suivantes:
vite [vɪt], subite [sybɪt], Aline [alɪn], film [fɪlm]
lutte [lYt], buche [bYʃ], bulle [bYl], jupe [ʒYp]
loupe [lUp], joute [ʒUt], bouche [bUʃ], boude [bUd]
Puisque [ɪ], [Y] et [U] n’ont pas de rôle distinctif en français – ces voyelles n’engendrent pas l’identification de nouveaux monèmes – (des unités ayant de nouvelles significations), elles sont considérées comme étant des allophones ou des réalisations phonétiques particulières des phonèmes /i, y, u/ dans la langue.
Les diphtongues québécoises [œy], [ɑu] et [ai]
En français québécois, trois diphtongues caractéristiques sont identifiables dans l’usage : les diphtongues [œy], [ɑu] et [ai]. Il s’agit des réalisations phonétiques complexes des phonèmes suivants : la voyelle antérieure, mi-ouverte, arrondie /œ/, la voyelle antérieure, ouverte /a/ et la voyelle antérieure, mi-ouverte, non arrondie /ɛ/.
La diphtongue complexe a une aperture d’attaque (en début de réalisation) qui est plus ouverte se terminant sur une aperture plus fermée (en fin de réalisation). La première se termine par une fermeture sur [y], la deuxième sur [u] et la troisième sur [i].
Les diphtongues québécoises sont des réalisations particulières des phonèmes /œ/, /a/ et /ɛ/. Ces réalisations complexes peuvent être motivées par la distribution des phonèmes dans le mot, principalement devant les constrictives sonores (/r/, /z/ et /ʒ/), et devant l’occlusive sourde /t/. Devant un enfant qui produit ces diphtongues, nous n’intervenons pas pour obtenir des monophtongues (à savoir les voyelles non complexes /œ/, /ɑ/ et /ɛ/). L’usage des diphtongues est un usage bien ancré dans la variété nationale et il n’est pas souhaitable de s’attaquer à l’usage des parents et encore moins de la communauté. Voici quelques exemples mettant en lumière cet usage:
beurre [bœyr], sœur [sœyr], cœur [kœyr]
garage [garɑuʒ], tard [tɑur], part [pɑur]
neige [naiʒ ], arrête [arait], treize [traiz]
On peut aussi considérer la présentation de P. MARTIN (1996 : 87) pour les réalisations [aœ] de beurre [baœr] , [aɛ] de père [paɛr], [ao] de mâle [maol], et [œe] de bébé [bœbœe], démontrant une aperture d’attaque des diphtongues québécoises plus ouverte que l’aperture finale naturellement plus fermée.